Sacha Carlson
Le rien enroulé

On sait que les Archives-Richir ont officiellement été ouvertes en avril dernier à Wuppertal, grâce à la volonté et la persévérance d’Alexander Schnell. Le premier Internationaler Marc-Richir-Kongress a eu lieu en même temps pour célébrer cet événement, les 26-29 avril 2019: l’occasion d’une première rencontre d’ampleur entre connaisseurs de l’œuvre de Marc Richir. Mais l’occasion, également, de visiter les Archives, et de jeter un premier coup d’œil aux documents qu’il faudra à présent dépouiller et éditer. J’ai notamment eu entre les mains un document tout à fait surprenant qui constitue l’ « arrière-fond » du texte que Richir lui-même considérait comme le « premier acte de naissance » de sa pensée : « Le rien enroulé » (1970). Beaucoup de choses pourront dès lors être précisée concernant la genèse de l’œuvre de Marc Richir. Avant d’y venir à ma manière, je publie ici, comme pour me mettre à la tâche, un texte que j’avais écrit jadis pour tâcher de comprendre le sens de cette œuvre de percée.
« Dans le sillage heideggerien »[1] : Le rien enroulé (1970)[2].
Le premier acte de naissance de la phénoménologie richirienne.
C'est dans un article paru en 1970[3]dans la revue Textures, et dédié à Max Loreau, que Richir propose une première « esquisse » de sa phénoménologie originale, cela même qu'il appelle alors une « pensée de la phénoménalisation ». Je tiens cet article relativement court (une vingtaine de pages) pour le premier « acte de naissance » de la phénoménologie richirienne[4] où, en prenant distance par rapport à la pensée derridienne de la différance, il s'appuie alors sur Heidegger pour façonner sa propre conception du double mouvement de la phénoménalisation. Ce qui me semble caractéristique du style de Richir dans cet article séminal, c'est tout à la foisle voisinageavec la pensée de Heidegger, qui se manifeste par une attention scrupuleuse à la lettre des textes, et un souci de la chose même à penser, qui maintient Richir dans un certain écart par rapport à cette tradition phénoménologique. Il faudra alors montrer que cette phénoménologie naissante est bien une phénoménologie, bien que ne s'identifiant pas à l'orthodoxie husserlienne ou heideggerienne. Comme l'écrit Richir : « À l'écartcependant du cheminement de Husserl et de Heidegger, ce qui a motivé mes propres méditations était la question du statut du phénomène comme rien que phénomène »[5]. Cet écart, voudrais-je montrer, n'est pas une solution de continuité.
Dans cet article, Richir articule sa pensée en trois temps : dans un premier temps, c'est une interprétation du sens global de la phénoménologie husserlienne qui sert de marchepied pour formuler l'exigence et esquisser les lignes de crête d'une phénoménologie originale. Dans un deuxième temps, Richir s'efforce de penser le concept cardinal pour sa nouvelle phénoménologie : celui de double mouvement de la phénoménalisation. Dans un troisième temps, il confronte sa première esquisse à la pensée de Heidegger, en commentant une partie du texte Identité et différence. Examinons tour à tour ces trois moments.
1) Une nouvelle pensée de la phénoménalisation
Richir présente son article comme une esquisse d'une « pensée de la phénoménalisation ». En première approximation, on peut définir la « phénoménalisation » comme l'acte, le mouvement ou le processus par lequel quelque chose apparaît, se manifeste. Par ailleurs, le phénomène peut être compris comme tout ce qui peut apparaître à la conscience, c'est-à-dire comme vécu : il peut s'agir tout aussi bien d'un arbre devant moi que je vois, d'une histoire dont je me souviens, d'un nombre auquel je pense, d'un homme que je regarde, de la douleur que je ressens, d'une séquence d'actions rêvée, ou encore de la joie qui me transporte, etc. ; de toutes ces « choses », on peut dire d'une certaine manière qu'elles apparaissent, et que ce sont des phénomènes. En proposant de mettre l'accent sur la phénoménalisation plutôt que sur les phénomènes, Richir entend considérer les phénomènes, c'est-à-dire toutes ces « choses », dans leur mouvement d'apparaître, c'est-à-dire dans le « comment » de leur apparition. On notera déjà que présenté de la sorte, le projet richirien se situe sur la droite ligne du projet phénoménologique classique : il s'agit de reconduire les choses à l'acte d'apparaître qui sous-tend leur apparition. En termes husserliens, il s'agit de reconduire les choses données dans l'attitude naturelle aux vécus dans lesquels celles-ci apparaissent. En termes heideggeriens, il s'agit de reconduire les étants à leur être qui les porte jusqu'à la présence. Si Richir élabore sa propre phénoménologie à l'écart de la phénoménologie classique, ce n'est donc pas tant pour récuser le questionnement phénoménologique classique, mais plutôt pour en contester les « réponses » traditionnelles. Que le mode d'apparaître des « choses » se réduise à la temporalité de la conscience, dont la forme est le présent vivant muni de ses rétentions et de ses protentions ; ou qu'il se réduise à l'être de l'étant comme temporalité originaire, ekstatico-horizontale, finie et mortelle : voilà ce que Richir conteste implicitement dès cet article séminal.
Il est tout à fait caractéristique que Richir amorce sa réflexion non pas à partir de Heidegger, mais très brièvement à partir de Husserl, tel qu'il rencontre le « problème phénoménologique »[6] général au début de sa carrière, et que Richir envisage dans le cadre de la question métaphysiquede l'identité et de la différence (question du Même et de l'Autre). Il s'agit plus précisément pour Richir d'interpréter la situation dans laquelle se trouve Husserl lorsqu'il projette d'élucider les idéalités logico-mathématiques, en reconduisant celles-ci à leur intériorité vivante, c'est-à-dire à la vie de la subjectivité transcendantale, qu'elles tendent toujours à perdre ou à oublier. La situation est telle, explique Richir, qu'à l'objet lui-même tel que nous l'identifions de prime abord (l'idéalité logico-mathématique telle qu'elle se donne de prime abord à penser) se rattache une autre part qui lui est essentielle, bien que restant dans l'implicite et dans l'indéterminé (en termes husserliens : la vie transcendantale oubliée dans l'attitude naturelle). Et clarifier l'objet lui-même, ainsi que Husserl se propose de le faire, consiste en fait à ramener cette autre part oubliée, non-présente et indéterminée dans l'objet lui-même, c'est-à-dire finalement dans la conscience que j'en ai. Ou encore, comme l'écrit Richir, il s'agit de reconduire l'Autre au Même, ainsi que le Même à l'Autre, étant entendu que l'« Autre » désigne ici cette autre part indéterminée de l'objet (en termes husserliens : la vie transcendantale constituante), et que le « Même » s'entend comme l'objet lui-même tel qu'il se donne d'abord dans l'attitude naturelle (l'objet non-clarifié). Bien sûr, il faut souligner que cette différence entre le Même et l'Autre est une différence interne à la conscience, puisque le Même est ce qui est visé par la conscience naturelle, et que l'Autre est en fait le fond oublié de la conscience. C'est ce qui permet de comprendre qu'en même temps qu'une différence, il y a aussi une profonde co-appartenance du Même et de l'Autre : le Même implique toujours son Autre, et l'Autre est toujours Autre du Même.Dès lors :
« l'Autre n'est que l'autre “face” du Même, ce qui dans le Même n'est pas visible. Le Même est donc dif-féré de soi par une non-visibilité qui le fait se rapporter à soi comme à un autre lui-même (c'est la réflexivité du Même). Et ce n'est que par cette différence d'avec soi que le Même peut être identifié à soi, considéré comme étant pour lui-même le Même. Je ne vois donc le Même en tant que tel que pour autant qu'il est à la fois différent et même que soi. Le Même ne peut être vu que parce qu'il est habité par une aire d'indétermination et de non-visibilité. C'est pourquoi le Même est toujours d'une certaine manière non-clarifié. »[7]
En plus de la pensée que Richir tente d'élaborer ici, il me semble important d'être attentif dès à présent au langage que Richir utilise, pour essayer de faire parler les concepts métaphysiques, voire logiques, d'identité et de différence, du Même et de l'Autre. C'est d'abord le vocabulaire, somme toute encore très métaphysique – à en croire Heidegger –, du voir et de la vision qui est convoqué : l'Autre est la « face cachée » de tout objet visible (de tout Même, en tant qu'objet spontanément vu dans l'attitude naturelle), l'invisible qui habite tout visible. Bien plus, insiste Richir, que c'est parce qu'il y a de l'invisible au sein du visible que le visible est visible. Comprenons que le visible n'apparaît tel qu'il apparaît que parce qu'il est porté par « quelque chose » d'autre, qui n'apparaît pas. L'exemple des choses visibles est en ce sens très parlant : de cet arbre, là devant moi, je ne peux percevoir qu'un côté, l'autre côté me restant toujours caché ; mais c'est parce que je « sais », d'un savoir implicite, que cet arbre ne m'est pas actuellement pleinement visible, que je peux percevoir cet arbre comme arbre, c'est-à-dire comme chose spatiale. Le visible n'est donc visible que parce que ce qui est vu dans la vision renvoie toujours pour une part à du non-vu ou à de l'invisible. Ou encore, pour reprendre les termes plus généraux de Richir, il faut dire que le Même n'est Même que parce qu'il est habité par l'Autre ; c'est cela que veut dire Richir lorsqu'il écrit que l'Autre est le « Même du Même »[8]: cela signifie que l'Autre est le « fond » ou le « cœur » du Même, « son intériorité la plus intime »[9].
La question phénoménologique ainsi posée, on pressent déjà que toute la difficulté va se concentrer sur le statut à accorder à l'Autre – à l'invisible. Si la réduction phénoménologique est bien une ouverture à l'Autre (à la vie transcendantale), comment l'Autre va-t-il apparaître ? L'Autre peut-il apparaître de la même manière que le Même ? Richir rencontre ici à sa manière un problème avec lequel aussi bien Husserl que Heidegger se sont longuement débattus : si le champ phénoménologique doit apparaître, être intuitionné dans une expérience phénoménologique, il s'agit de comprendre ce qui distingue le mode d'apparition de la sphère phénoménologique/transcendantale (pour Richir : l'Autre) et le mode d'apparition des choses mondaines (pour Richir : le Même) – ce qui distingue l'expérience transcendantale de l'expérience naturelle, ou ce qui distingue la manifestation de l'être de la manifestation de l'étant. C'est sur ce point que Richir s'écarte de Husserl (en fait : de la vulgate husserlienne, c'est-à-dire de ce que la majorité des commentateurs a tout d'abord retenu de l'œuvre husserlienne), lorsqu'il soutient que l'Autre ne peut être vu, intuitionné, même pas comme telos situé à l'infini : « il n'y arien [...] ici à apercevoir »[10]. Le vocabulaire de la vision est donc inapte pour la phénoménologie ébauchée. Du même coup, sa phénoménologie est bien « dans le sillage heideggerien », en reprenant de Heidegger l'idée d'une phénoménologie de l'inapparent, selon laquelle l'être ne peut jamais se manifester que dans son retrait.
Quoi qu'il en soit, la difficulté d'une telle position phénoménologique est de comprendre et de justifier le fait que l'on puisse malgré tout tenir un discours philosophique sur l'Autre : de quel droit Richir a-t-il pu jusqu'ici écrire à propos de l'Autre puisqu'il ne peut pas être vu, pas être pensé. Il s'agit pour Richir de comprendre qu'il existe une approche phénoménologique possible de l'Autre qui n'est pas celle de l'intuition ou de la vision : si l'Autre ne peut être « aperçu » (dans une aperception, c'est-à-dire dans une vision), il peut être « entre-aperçu »[11] dans le mouvement du Même au Même, c'est-à-dire dans le mouvement réflexif d'identification du Même, qui passe toujours par l'Autre. Autrement dit, l'Autre peut être approché dans le mouvement d'apparaître du Même, c'est-à-dire dans sa phénoménalisation. La pensée phénoménologique de l'Autre ne peut être qu'une pensée de la phénoménalisation.
Qu'est-ce que la phénoménalisation ? Richir en donne la définition suivante: « les mouvements par lesquels “quelque chose” se fait phénomène, c'est-à-dire se manifeste, devientprésent »[12]. J'ai déjà dit que même si le terme n'est pas couramment utilisé chez Husserl ou Heidegger, cette question de la phénoménalisation peut nettement se rattacher aux problèmes qui y sont traités. Par ailleurs, il faut aussi souligner que la phénoménalisation est un acte très concret : la phénoménalisation, c'est tout simplement l'acte par lequel quelque chose est vécu, apparaît. Nous phénoménalisons donc sans cesse, dans toutes nos expériences, même les plus quotidiennes. En ce sens, il faut insister sur ce que la phénoménalisation n'est pas un acte philosophique ou savant. La difficulté tient cependant en ce que l'acte de phénoménaliser qui habite chacune de mes expériences, je n'aperçois le plus souvent que le résultat, comme trace stabilisée. C'est pourquoi si la phénoménalisation n'est pas un acte philosophique, la pensée de la phénoménalisation est une tâche proprement philosophique, ou phénoménologique[13]. Richir poursuit donc son texte par une description proprement phénoménologique de la phénoménalisation :
« Qu'est-ce que phénoménaliser ? Phénoménaliser, c'est faire sortir le Même dans l'Autre (ouvrir le Même à l'Autre) pour faire entrer l'Autre dans le Même. Le dehors est le dedans du dedans, l'Autre est le Même du Même, la sortie hors de soi est une rentrée en soi. »[14]
Avant de commenter cette « définition », arrêtons-nous sur le vocabulaire utilisé. Il est question de «dedans » et de « dehors », d' « entrer » et de « sortir ». Ces « métaphores » doivent être soulignées, car elles indiquent une véritable interprétation du problème métaphysique de l'identité et de la différence, où ce n'est pas tant le temps qui jouera un rôle prépondérant, mais bien plutôt l'espace. On sera donc attentif à l'interprétation spatiale ou topologique qui s'esquisse ici, mais qui va traverser toute l'œuvre de Richir. Ici, le Même est associé au dedans, et l'Autre est désigné comme dehors. Remarquons tout de suite que ces termes ne correspondent pas strictement à leur sens habituel et courant, puisque, comme nous l'avons vu, le dehors (l'Autre) est aussi pensé comme le cœur ou l'intériorité la plus intime du dedans (du Même) : il faut donc dire paradoxalement que le dehors est en même temps à l'intérieur, qu'il est le dedans du dedans (le Même du Même). C'est en ce sens que l'interprétation du Même et de l'Autre transposée en termes spatiaux, génère la pensée d'une « étrange topologie »[15], dont le caractère le plus remarquable est qu'elle ne se laisse pas représenter sur un plan[16]. En tout cas, cette topologie est l'outil qui va permettre à Richir de penser la phénoménalisation. Reprenons-en la « définition » : phénoménaliser, écrit Richir, c'est « ouvrir » le Même à l'Autre. Cette « ouverture » doit se comprendre comme un mouvement de rencontre du Même et de l'Autre, un mouvement par lequel le Même va vers l'Autre et l'Autre va vers le Même. L'interprétation topologique de la phénoménalisation permet à Richir de comprendre plus précisément la nature de ce mouvement. Ouvrir le Même à l'Autre, c'est passer du dedans (le Même) vers le dehors (l'Autre) ; mais comme le dehors (l'Autre) est aussi en même temps le dedans du dedans (le Même du Même), ce passage vers l'extérieur est en même temps un retour vers soi, vers le dedans. L'explication topologique permet en fait de comprendre que ce mouvement est un double mouvement, qui va tout à la fois vers le dehors et vers le dedans.
Cette notion de « double mouvement »[17], qui l'est de la phénoménalisation, me semble être l'apport principal du Rien enroulé. Il s'agit d'une notion centrale pour toute la pensée de Richir jusque dans ses publications les plus récentes ; aussi, la lecture de cet article est très instructive, en ce qu'elle permet d'assister, dans le vif du texte, à l'effort inaugural de Richir pour « penser l'unité de ce double mouvement »[18]. Cet effort se scande en deux temps. Tout d'abord, Richir cherche à traiter la question en exploitant son interprétation topologique de la phénoménalisation, mais aussi en cherchant un langage qui puisse dire la chose même qu'est ici la phénoménalisation sans la déformer. Ensuite, il éprouve sa propre pensée ainsi que son langage en se confrontant à la pensée et au langage de Heidegger, dont on comprend alors qu'il est ici l'inspirateur principal de Richir.
2) Le double mouvement de la phénoménalisation
Comment penser ce double mouvement de la phénoménalisation ? Dans un premier temps, Richir s'essaie à dire sa problématique en ayant recours à plusieurs « images », qui mettent chaque fois en jeu un type de vocabulaire spécifique. Manifestement, Richir cherche ici son langage. Parmi ces « images », je relève celle d'une figure spatiale (l'anneau et la frange annulaire), celle de mouvements spatiaux (le saut, les mouvements d'enrouler et de dérouler, le tremblement), celle d'un son (le grincement), celle d'un concept métaphysique (la Dif-férance), celle de la vision (les étincelles, l'écume visible, le sillage de lumière, le copeau apparent). Reprenons-les une à une, à commencer par celle, classique, de l'anneau. Richir cherche à décrire cette étrange stature du Même qui est d'abriter l'Autre en lui-même. L'image de l'anneau est à cet égard en effet très éloquente, si l'on songe qu'un anneau est précisément un objet qui encercle un vide ; le vide est essentiel à l'anneau, et en constitue même le centre, mais n'est pas lui-même l'anneau. L'anneau est donc un objet dont le centre (le cœur) (n')est rien et est donc Autre. C'est en exploitant les ressources de cette « image » que Richir peut écrire :
« Or le Même n'est qu'un anneau encerclant-encerclé par un intérieurqui est son extérieur. Le Même est cette frange annulaire dont l'intérieur (qui est l'intérieur de cet intérieur qu'est la frange) et l'extérieur coïncident. »[19]
Le Même est donc un anneau, et en tant qu'anneau, il encercle son intérieur qu'est le vide ou le rien, et qui à ce titre, est donc aussi son extérieur (l'Autre). En ce sens, on peut dire que la courbure de l'anneau est tout à la fois tournée vers l'intérieur et vers l'extérieur. Ce qui fait dire à Richir que l'anneau n'est qu'une « frange », c'est-à-dire le « bord » ou la « limite » sur laquelle se rencontrent (« coïncident ») l'intérieur et l'extérieur, le Même et l'Autre.
Pour parlante qu'elle soit, cette image de l'anneau a l’inconvénient de présenter les choses d'une manière statique. C'est pourquoi Richir exploite aussi l'image du saut. Il est évident que le mouvement de rencontre du Même vers l'Autre et de l'Autre vers le Même ne peut être dépeint par l'image d'un simple saut, c'est-à-dire d'un « bond » d'un point défini à un autre point défini (un saut de l'intérieur vers l'extérieur et inversement). Il faudrait plutôt parler d'un « saut qui se retient de sauter tout en s'efforçant de sauter»[20]. Aussi, plus précise que celle du saut, mais sans doute aussi plus difficile à comprendre, c'est l' « image » du double mouvement comme « enroulement-déroulement » que Richir préfère utiliser[21]: cette « image » se rattache directement à celle de l'anneau, mais prise dynamiquement. On peut chercher à en approcher le sens en se figurant l'engendrement d'un anneau : si l'on envisage les choses en considérant l'anneau lui-même (la languette de métal précieux qui constitue à proprement parler l'anneau), il faut dire que l'engendrement de l'anneau est un mouvement de disposition de l'or en une fine languette autour d'un centre vide ; ce mouvement consiste donc à déployer le métal, à le « dérouler », en même temps qu'il consiste à encercler le centre vide, donc à « enrouler » le métal. Quoi qu'il en soit, la difficulté de cette « image » aussi bien que des autres, est de penser l'unité de ce double mouvement, alors même que notre attitude spontanée serait de les envisager l'un après l'autre ; d'où les précautions que prend Richir lorsqu'il explique que les deux mouvements sont « co-originaires », que l'un des deux n'est pas l'origine ou le principe du second, mais qu'ils « s'équilibrent » par leur « équigravitation » : « C'est en quelque sorte un pur mouvement, où la “pureté” signifie l'équigravitation de l'enroulement et du déroulement »[22].
Ceci étant dit, Richir poursuit :
« Mais dans cet engendrement, il y a grincementdu mouvement de déroulement (de sortie) dans le mouvement d'enroulement (d'entrée), c'est-à-dire Dif-férance du mouvement dans son contre-mouvement et de celui-ci dans celui-là »[23].
Commençons par chercher à comprendre ce qui est en jeu dans ce texte. Richir repart comme d'un fait déjà acquis du double mouvement dans son unité (l'engendrement), pour préciser que si le double mouvement est bien en même temps enroulement et déroulement, et que donc l'intérieur coïncideavec l'extérieur, cela ne signifie pas pour autant que l'intérieur est identiqueà l'extérieur (que l'enroulement est identique au déroulement) : il s'agit d'un unique double mouvement, et pas d'un mouvement unique. La question qu'on ne manque pas de se poser alors, est celle de comprendre ce qui permet à Richir d'affirmer cela : pourquoi faut-il penser un double mouvement originaire, et non pas un mouvement originaire unique ? Est-ce là une position métaphysique, ou bien peut-elle s'attester phénoménologiquement ? L'originarité du double mouvement s'atteste par le fait que le mouvement de déroulement exerce une certaine résistance sur le mouvement d'enroulement, et inversement ; et de cette résistance il y a une trace visible, qui atteste précisément de la duplicité à l'origine du mouvement de phénoménalisation. C'est comme cela, me semble-t-il, qu'il faut comprendre l'usage de cette autre « image », celle du grincement :
« Mais dans cet engendrement, il y a grincementdu mouvement de déroulement (de sortie) dans le mouvement d'enroulement (d'entrée), c'est-à-dire Dif-férance du mouvement dans son contre-mouvement et de celui-ci dans celui-là. De ce grincement jaillissent des étants comme des étincelles expulsées du double mouvement. Autrement dit, l'étant n'apparaît comme présent (phénoménalisé) que s'il se détache du double mouvement, s'il s'en sépare comme une écume visible »[24].
Reprenons ce texte très dense point par point. Tout d'abord, rappelons que le double mouvement que Richir cherche à mettre en évidence, est cela même qui, comme double mouvement de la phénoménalisation, porte tous les phénomènes, c'est-à-dire tous nos vécus. Cependant, la difficulté est que ce double mouvement n'apparaît pas comme tel dans l'attitude naturelle, c'est-à-dire dans l'attitude qui est naturellement la nôtre, lorsque nous portons notre attention sur les choses, et non pas sur la manière dont celles-ci apparaissent. Telle est la difficulté d'une pensée de la phénoménalisation : faire apparaître (par la pensée) le processus ou le mouvement d'apparition de ce qui apparaît, alors même que ce mouvement s'occulte toujours dans l'apparu ; pour le dire d'une image, il s'agit de montrer le feu, alors même que l'on ne voit devant nous que de la cendre. La thèse de Richir est que ce processus est un double mouvement. Et la justification qu'il apporte à cette thèse me semble être la suivante : s'il y a bien des « choses » qui apparaissent de manière plus ou moins stable, et que Richir appelle ici des « étants », c'est nécessairement parce que le mouvement qui porte l'apparition de ces choses est freiné d'une certaine manière, et rencontre donc quelque part de la résistance. D'où vient cette résistance ? On pourrait suggérer – hypothèse que Richir ne formule pas – qu'elle vient de l'objet apparaissant lui-même, dans ce qui fait sa consistance intrinsèque, et vers lequel la pensée (ou plus généralement la conscience) s'élancerait pour ne s'arrêter qu'en l'atteignant. Cette position, qui est grosso modo celle du réalisme, ne répond cependant pas aux exigences de la méthode phénoménologique, que Richir entend suivre ici, au moins implicitement. Selon ces exigences, il s'agit de ne prendre en compte dans l'analyse que ce qui est donné dans la description, et sans poser aucune instance explicative. Impossible, donc, de poser un objet extérieur comme cause de l'arrêt de la phénoménalisation par lequel seulement il peut y avoir un apparaissant. Il faut par conséquent que la résistance que rencontre la phénoménalisation vienne de la phénoménalisation elle-même ; autrement dit, il faut penser la phénoménalisation non pas comme un seul mouvement, mais comme un mouvement qui s'élance en même temps qu'il se retient, bref comme un double mouvement. Ce qu'il faut comprendre, c'est que si le mouvement de phénoménalisation est en tant que tel invisible (ou plus généralement : inapparent), la résistance que celui-ci opère sur lui-même peut se voir ; c'est même cela seul qui est visible : toutes les choses que nous percevons, pensons etc., ne sont que la trace de la résistance que le double mouvement produit sur lui-même. Et c'est cela que Richir appelle le « grincement » : l'apparence produite par le « frottement » (la résistance) du mouvement sur lui-même. Richir utilise aussi le vocabulaire de la vision, et parle d' « étincelles », de « copeaux » ou d' « écume visible ». Ici encore, ces « images » servent à désigner ce qui est apparent du double mouvement : les étincelles sont en ce sens ce qui surgit du frottement de deux silex, et l'écume est ce qui apparaît suite au mouvement des vagues. Bien sûr, le danger de tous ces exemples est que s'ils permettent de dire la chose même dans un langage qui évite les concepts de la métaphysique, et qu'en ce sens ils aident à comprendre davantage, ils peuvent aussi fourvoyer le lecteur, qui peut toujours chercher à y voir une explication littérale de ce qui cherche à s'y penser, sans compter que le lecteur n'a pas forcément la même sensibilité que l'auteur, et que si telle image parle à l'un, elle ne parlera peut-être pas à l'autre. Laissons donc pour l'instant ces exemples, et contentons-nous de souligner l'effort de Richir pour parler un autre langage.
Il faut maintenant porter notre attention sur le fait que cette nouvelle pensée de la phénoménalisation, qui se cherche en même temps que se cherche le langage pour la dire, implique aussi une nouvelle conception de ce qu'on appellera le phénomène, mais que Richir désigne encore du terme heideggerien d'étant, tout en conférant à ce terme un sens résolument phénoménologique. On a compris que la phénoménalisation est un double mouvement par lequel viennent à jaillir des phénomènes (des étants). On a également vu que la difficulté d'une pensée de la phénoménalisation, est que seuls les phénomènes (les étants) sont finalement visibles, alors que cette pensée cherche à mettre en évidence la phénoménalisation elle-même. On comprendra donc que les phénomènes (les étants) ne se réduisent pas non plus à cela seul qui est visible ou manifeste : un phénomène, c'est la trace visible du double mouvement ; autrement dit, c'est tout à la fois le double mouvement et ce qui s'en détache comme la trace visible. On définira donc le phénomène comme ce qui apparaît dans le mouvement de son apparition. Ou, pour parler le langage heideggerien, on dira que l'étant n'est étant que par son être, lequel cependant n'est pas. Ou encore, pour utiliser le vocabulaire de l'identité et de la différence du début de l'article, il faut dire que le phénomène (ou l'étant) est le Même, mais en tant que celui-ci est porté par l'Autre. Richir précise en effet :
« L'étant n'est à lui-même le Même que dans la mesure où il trouve son site dans l'aire de la frange qui entoure ce par quoi elle est entourée. Cette aire est l'aire de la présence, qui est en tant que telle écartelée par une double menace : l'évanouissement pur et simple et la permanence égale à soi du présent. L'aire de la présence est un évanouissant-surgissant animé d'un double tremblement vers la non-présence (l'absence, l'Autre de la présence comme non-Même) et vers l'Autre absolu de la présence (la présence de la présence, l'Autre comme Même du Même). Ce double tremblement rend impossible la présence pleine à soi, puisque la présence ne peut jamais se rapporter à soi-même que par l'intermédiaire de l'Autre de la présence (comme non-Même et comme Même du Même). Corrélativement, l'étant phénoménalisé n'est jamais pleinement présent, mais toujours miné du dedans par une certaine indétermination qui est le tremblement de l'aire de la présence. La phénoménalisation de l'étant signifie ainsi le devenir-présent de l'étant, jamais la réalisation d'une plénitude de présence en laquelle l'étant serait purement présent. Cela serait-il possible, l'étant irait à l'anéantissement puisqu'il exigerait simultanément l'exclusion de tout Autre (ce qui abolirait le Même comme Même) »[25].
Ce texte peut sembler « prophétique » si on le lit au regard de l'œuvre ultérieure de Richir. Le phénomène, peut-on lire, n'est pas pleinement présent, sans quoi il ne pourrait tout simplement pas apparaître, le mouvement d'apparition demandant toujours une certaine distance avec l'apparaissant, par où seulement la « chose » peut apparaître sans nous engloutir. Inversement, l'étant n'est pas non plus tout simplement absent, sans quoi il ne pourrait pas non plus apparaître. Ce que Richir cherche à penser ici, c'est le statut de la présence de l'étant présent, dont il comprend qu'elle est l'aire d'apparition de l'apparaissant, qui n'est autre que son aire d'indétermination ; c'est le « tremblé » ou le « bougé » des choses qui palpitent encore toujours de leur phénoménalisation. Par là, Richir peut aussi congédier les critiques un peu trop rapides de Derrida sur la « métaphysique de la présence ». La présence des choses ne peut en effet pas tout simplement être renvoyée comme une métaphysique conception de l'étant supposé plein de lui-même puisque l'étant, on l'a vu, n'est jamais complètement présent à soi, sinon dans les constructions idéologiques de ceux qui ont beau jeu de « déconstruire » ces dernières par la suite. Cette présence est plutôt le titre d'une question : comment les choses en viennent-elles à paraître, dans leur aire de présence qui les présente ni comme une présence pleine, ni comme absence définitive, mais dans leur mouvement d'entrée en présence en même temps que de retrait de la présence ? Plutôt que de critiquer la tyrannie du logos et de la métaphysique, ne faut-il pas essayer de comprendre, plus modestement, « ce qui se passe » dans l'expérience humaine – essayer de penser la phénoménalisation ?
3) Heidegger et la pensée de la phénoménalisation
Penser la phénoménalisation, c'est paradoxalement tout à la fois ce qui est requis par la métaphysique comme son dernier pas[26], mais aussi ce qui relève de l'exigence d'échapper à l'emprise de la pensée métaphysique. Penser la phénoménalisation, c'est donc faire un pas depuis le cadre de la métaphysique en vue de sa mise à distance[27]. Or, comme l'écrit Richir, « ce pas a déjà été accompli – parfois – dans la poésie, mais aussi dans la pensée : dans la pensée de Heidegger »[28]. La deuxième partie du texte de Richir s'attache à commenter certains passages de Heidegger. Ce recours à Heidegger peut se comprendre de deux manières différentes. On peut d'abord y voir l'expression d'une dette, qui indiquerait que c'est dans Heidegger que Richir aurait trouvé les moyens de penser la phénoménalisation : et on verra en effet que la pensée de Richir s'accroche franchement à la pensée heideggerienne de l'identité et de la différence. Mais on peut aussi comprendre cette attention scrupuleuse au texte heideggerien comme la tentative du jeune philosophe de sonder les ressources d'un langage proprement philosophique apte à penser la phénoménalisation. Et en effet, la lecture richirienne de Heidegger, dans cet article, est essentiellement attentive au langage du penseur de la Forêt-Noire.
Richir commence par s'interroger sur la stratégie d'approche adéquate des textes de Heidegger : il est toujours possible, en effet, d'utiliser Heidegger idéologiquement ou métaphysiquement, en répétantsa pensée, enparlant del'être de l'étant[29]. Mais plutôt que d'en rester aux formules, il s'agit de comprendre ce qui se joue dans cette pensée :
« Parler de – au sujet de – l'être en tant qu'être est une absurdité si on prend le langage de Heidegger à la lettre : L'être n'est pas un étant, il ne peut donc jamais être signifié. Pourtant, Heidegger “utilise” le mot “être” : C'est là que réside la source du leurre. On ne comprend pas une ligne de Heidegger si on pense que ce terme désigne quelque chose. Tous les “cheminements” de Heidegger conduisent à cette impossibilité (pour la pensée traditionnelle) : S'efforcer de penser l'impossible, c'est-à-dire l'“être”, littéralement comme l'in-signifiant : ce qui n'exclut pas qu'il ne faille poser la question du sens de cet in-signifiant : La question des bouleversements que “ce”qui (ne) signifie rien exige de la pensé habituée au régime de la signification. Ce qui constitue la singularité inouïe de son discours est qu'un mouvement passe “derrière”ce que les mots sont censés dénoter. Si bien que le langage de Heidegger ne parle pas de l'être, mais que c'est l'être – qui n'est pas un étant – qui parle à travers le langage. L'être est ce qui n'est exprimé nulle part, mais “ce” qui court à travers tout »[30].
Et Richir ajoute en note :
« Penser l'in-signifiant n'équivaut donc pas à penser le contraire de ce qui signifie : Ce contraire est toujours enchaîné à l'ordre de la signification. Penser l'in-signifiant signifie frayer un chemin entreles deux termes d'une alternative posée simultanément avec l'univers de la signification (de ce qui signifie “quelque chose”) »[31].
Il ne s'agit donc pas de parler de l'être, puisque celui-ci, en tant que fondamentalement « insignifiant », met en échec tout discours habitué au régime de la signification. Il faut plutôt faire parler l'être ; il faut que « l'être parle à travers le langage ». Cela n'est possible que si le langage se met à parler, c'est-à-dire que s'il est rendu au mouvement que lui impulse l'être, que le langage laisse paraître l'être qui « court » à travers lui. Plus précisément, comme l'interprète encore Richir, le langage se met à parler lorsqu'il épouse un mouvement non métaphysique, qui est celui du double mouvement d'enroulement/déroulement autour de ce qui n'est pas exprimé (signifié), mais qui cherche à se dire dans le langage[32].
C'est cela qui constitue finalement la « singularité inouïe » du discours de Heidegger. Et le « pas » qu'il effectue est fondamentalement un renversement du langage de la métaphysique par une mise en mouvement de celui-ci. Discourir sur la pensée de Heidegger, ou sur l'être en tant qu'être, ne rendra donc jamais compte de l'essentiel de sa pensée : c'est l'événement même de cette pensée, et le langage par lequel elle peut s'ouvrir qu'il importe de prendre en vue, et non pas ce qui s'y cristallise comme son « résultat ». C'est donc d'abord cet usage nouveau et non métaphysique du langage métaphysique qui intéresse Richir chez Heidegger. Et il est significatif qu'il cite rapidement Unterwegs zur Sprache[33], où une telle approche du langage est tentée et thématisée par Heidegger lui-même. En ce sens, ce dernier ouvrage, et qui est sans doute le texte de Heidegger qui aura le plus considérablement marqué Richir, peut être considéré comme un préalable à la lecture de l'interprétation richirienne de Heidegger dans Le rien enroulé, puisque Richir s'appuie en fait sur la conception heideggerienne du langage pour approcher le langage de Heidegger lui-même. Nul doute que ce faisant, c'est aussi et d'abord son propre langage – qu'il a déjà mis en jeu dans la première partie de son texte – que Richir cherche à la fois à façonner et à critiquer.
C'est ce que Richir essaie de « saisir » en lisant quelques passages du texte de la seconde partie d'Identité et différence, intitulée : « La constitution onto-théologique de la métaphysique »[34]. Comme on le sait, ce texte cherche à examiner le mouvement de la métaphysique par lequel celle-ci en vient à poser la question du fondement, comme être et comme Dieu[35]. Pour Heidegger, c'est par ce dialogue avec l'histoire de la pensée que peut s'effectuer le « pas en arrière » qui peut nous diriger « vers un domaine jusqu'ici négligé et qui est le tout premier domaine à partir duquel l'être de la vérité mérite d'être pensé »[36]. Heidegger précise encore que ce qui se donne à penser avec ce pas en arrière, c'est la différence qui sépare l'être de l'étant[37]. À cet égard, l'enjeu du texte de Heidegger est bien de penser la différence comme première par rapport à l'être et à l'étant : c'est à partir de la différencequ'adviennent aussi bien l'être en tant que tel que l'étant[38]. Aussi, « par le pas en arrière, écrit Heidegger, nous libérons le propos de la pensée, l'être comme différence, nous lui permettons de se présenter à nous dans un vis-à-vis qui peut demeurer entièrement vide d'objets »[39]. À la lecture de ces textes, il est évident que la pensée de la différence est au moins une des inspirations de la pensée richirienne du double mouvement de la phénoménalisation. Mais il faut surtout remarquer que dans son commentaire du texte, Richir s'attache surtout à examiner le chemin que propose Heidegger pour accéder à une telle pensée : il s'agit surtout d'analyser ce que signifie concrètement ce que Heidegger nomme le « pas en arrière ». Pour ma part, j'ai tendance à interpréter ce « pas » comme la version heideggerienne, à cette époque, de la réduction phénoménologique : il s'y agit de suspendre la vision métaphysique – de l'effectuer, certes, mais sans ce que Husserl nommait « position d'être », c'est-à-dire sans s'oublier dans cette effectuation – pour prendre en vue son essence, c'est-à-dire ce qui, invisiblement, la porte et la rend possible[40]. Dans cette perspective, il est tout à fait intéressant que Richir, quant à lui, interprète ce geste comme celui d'une mise en mouvement du langage métaphysique : mouvement qui part du langage de la métaphysique, mais dont la mise en mouvement en permet le dépassement. C'est pourquoi, dans sa lecture, Richir n'est pas tant attentif au « contenu » de la pensée de Heidegger – celui-ci relève du langage de la métaphysique à proprement parler –, mais s'attache plutôt à saisir le mouvement de sa pensée, ce qu'il fait en analysant le mouvement de son écriture. C'est pourquoi il faut suivre cette analyse pas à pas.
Voici le début du texte de Heidegger que Richir analyse, et qu'il faut citer intégralement :
« Ne perdons toujours pas de vue que la différence (Immer noch auf die Differenz blickend), mais grâce au pas en arrière occuper la position qu'il faut penser (und sie doch schon durch den Schritt zurück in das zu-Denkende entlassend), nous pouvons dire : l'être de l'étant veut dire (Sein des Seienden heisst) : l'être qui est l'étant (Sein welches das Seiende ist). Le “est”parle ici transitivement, marque un passage(Das “ist” spricht hier transitiv, übergehend). Ici l'être se déploie (west)à la manière d'un passage (Uberganges) à l'étant (zum Seienden). Toutefois, l'être ne quitte pas son lieu pour aller vers l'étant, comme si celui-ci, tout d'abord sans l'être (zuvor ohne das Sein), pouvait être premièrement rejoint par lui (vondiesem erst angegangen werden) »[41].
Voilà maintenant le commentaire de Richir :
« Heidegger ne dit pas ; l'être est l'étant, mais l'être, qui est l'étant. Le “est” parle transitivement, “übergehend” (littéralement : allant au-dessus, par-dessus, au-delà). Il faut prendre garde : ne pas laisser s'échapper le mouvement qui s'imprimedans la scansion de la phrase. La tournure : l'être est l'étant, est évitée par le jeu de langage : l'être, qui est l'étant. L'accent est ainsi porté sur le verbe être, le pronom relatif est une charnière, une articulation, c'est-à-dire rien (donc l'être). Ce qui joue furtivement dans cette proposition, c'est donc “est l'étant”. Le “est” parle transitivement : l'étant est le “complément” du “est”. Le “est” pensé strictement est un pur mouvementd'aller au-dessus et au-delà. L'être est pur mouvement de passer au-dessus, à la fois auprès de et vers l'étant (zum Seienden). Ce qui ne veut pas dire que l'être serait lui-même un étant qui quitterait son lieu pour aller vers l'étant. Car tout d'abord (zuvor), l'étant n'est pas séparé de l'être : il n'y a pas “encore” étant – nous plaçons “encore” entre guillemets parce qu'il ne s'agit nullement d'une antériorité temporelle ; il n'y a pas “encore” de temps au sens du flux unitaire orienté du passé vers l'avenir ».
Autrement dit, ce que Richir cherche à mettre en évidence, c'est la manière dont par son écriture, Heidegger arrive non pas à dire ou à expliquer, mais à montrer– en fait : à phénoménaliser – tout à la fois l'identité et la différence de l'être et de l'étant : identité, en ce que l'étant est seulement pensable par son être, de même que l'être est toujours pris comme être de l'étant ; différence en ce qu'il doit bien y avoir un écart – que Richir appelle un « rien » – entre l'être et l'étant, qui permet de distinguer l'être de l'étant, et l'étant en son être. Richir explique que cet écart surgit dans le texte de Heidegger par la scansion de la phrase, en vertu de laquelle l'être parvient à sonnernon seulement dans sa teneur nominale, mais aussi dans sa résonance verbale qui porte toute présence nominale (toute présence d'un étant). Dans ce dernier cas, l'être se manifeste comme un mouvement ou un passage : il est cet Autre ou ce rien par lequel advient quelque chose comme Même. Il est le mouvement même d'apparaître de l'étant : le mouvement de sa phénoménalisation.
Le texte de Heidegger continue comme suit :
« L'être passe au-delà et au-dessus en s'éloignant (Sein geht über (das) hin), vient décelant au-delà et au-dessus (kommt entbergend über (das)) de (ce) qui, par une telle sur-venue (Uberkomnis) ad-vientd'abord (erst ankommt) comme [ce qui] depuis soi vers soi [est le] non-celé (als von sich her Unverborgenes).L'ad-venue veut dire (Ankunft heisst) : se celer dans le non-cèlement : ainsi celé, venir à durer, être étant (sich bergen in Unverborgenheit : also gegorgen anwähren : Seiendes sein). L'être se montre comme la sur-venue décelante (als die entbergende Uberkommis).L'étant comme tel apparaît (erscheint) dans la guise (in der Weise) de l'advenue se celant dans le non-cèlement (der in die Unverborgenheit sich bergenden Ankunft) »[42].
Richir estime que c'est dans ce texte que Heidegger parvient à penser la phénoménalisation à partir de rien : en termes heideggeriens, que l'étant y est pensé dans son pur mouvement de surgissement, c'est-à-dire à partir de son être. En effet :
« Cela apparaît si on lit la première phrase dans son double sens : si on lit l'insignifiant que sont les parenthèses qui encerclent le “das”. Il faut prêter attention à la matérialité même du texte : le“das”n'est pas ici simplement introduit pour répondre à une nécessité grammaticale : Sein geht über (das) hin, kommt enbergend über (das),was durch solche Uberkommis ... Le “das”est entre parenthèses : il tombe dans le texte, mais aussi, il surgit du texte, il s'en détache, il ad-vient, se phénoménalise, comme un îlot cerné d'insignifiance. Une fois le “das” sur-venu, plus besoin d'adjoindre des parenthèses au « was » qui introduit la proposition relative »[43].
Encore une fois, ce n'est donc pas par ce qui est exprimé ou signifié dans le texte que la phénoménalisation se donne à penser, mais par son « insignifiant ». Un mot retient ici surtout l'attention de Richir, le « das », parce que celui-ci surgit dans le rythme de la phrase en s'en détachant ; de plus, par ce mot littéralement insignifiant, ce n'est pas un étant qui apparaît, mais le mouvement même de sa parution : pour tout dire, c'est la phénoménalisation qui s'y phénoménalise. Le texte de Heidegger permet en outre d'approcher la « nature » de ce mouvement, par « la condensation de termes contradictoires dans le même mouvement, dans le mouvement de la phrase »[44]: l'être « est » pur mouvement d'aller (en s'éloignant : hin) au-delà et au-dessus ; mais c'est aussi un mouvement de venir. Heidegger écrit aussi que ce mouvement cèle tout en décelant : il se « cèle dans le non-cèlement ». Ce que le texte suggère, c'est donc que ce mouvement est en fait un double mouvement, que Richir « traduit » dans ses propres termes comme étant un mouvement d'enroulement en même temps que de déroulement. Et Heidegger précise également que l'étant comme non-celé advient comme un « se celer dans le non-cèlement ». Dans les termes de Richir, cela signifie que le phénomène (pour Heidegger : l'étant non-celé) se phénoménalise (advient) comme une étincelle sur la frange entre l'enroulement et le déroulement[45]:
« l'étant n'est plus simplement l'étant subsistant, toujours déjà là, archè et telos de la pensée. Cet arbre que je vois n'est que secondairement une forme calme et immuable qui arrête mon regard. Cet arbre est l'étincelle de rien –ni matérielle ni spirituelle – qui jaillit du grincement inaudible de deux mouvements invisibles »[46].
Il faut être attentif à l'exemple convoqué ici par Richir : ce que Heidegger cherche à penser comme l'étant dans son être, et que Richir désigne du terme husserlien de phénomène, est illustré par un arbre, c'est-à-dire par un phénomène de perception, dont Richir essaie de montrer qu'il ne se réduit pas à l'analyse qui en est fait classiquement : la « perception phénoménologique » n'est pas la prise en vue d'un objet bien arrêté dans sa forme et son contour, mais l'approche hésitante d'une étincelle qui semble surgir de nulle part – de rien – et dont la mobilité empêche toute fixation du regard. On sait que Heidegger analysait la perception comme l'orientation du Dasein non pas sur l'étant dans son être, mais sur l'étant en tant que présent ou disponible (vorhanden). Par là, Heidegger entendait montrer le caractère dérivé de la perception : le comportement perceptif dérive en effet d'un comportement plus initial, qui est la voyance du monde ambiant caractérisée non plus par la Vorhandensein, mais par ce qui est alors nommé le Zuhandensein, et qui à son tour se fonde dans le phénomène de la temporalité originaire du Dasein[47]. C'est dire que pour Heidegger, ce qui relève de la perception est toujours connoté d'un caractère de secondarité, et par là-même d'inauthenticité. Cela se vérifie par le fait que lorsqu'il cherche à attester le phénomène originaire de la temporalité du Dasein, il se tourne presque toujours vers les œuvres de la pensée – philosophique ou poétique –, mais jamais vers les phénomènes sensibles. On remarquera qu'il y a au contraire chez Richir une attention appuyée au monde sensible. L'arbre que je vois n'est pas d'abord un arbre bien défini, comme l'espèce d'un genre universel subsumé par un concept ; mais ce n'est pas non plus une ou des sensations aveugles, à la manière d'un signal nerveux : c'est un phénomène, c'est-à-dire une phase de monde, qui surgit de manière relativement individuée, mais aussi contingente, comme une étincelle qui survient par le frottement de deux silex. Le phénomène est ce qui surgit des mouvements de l'ek-sistence et de l'être-au-monde ; c'est ce qui paraît à même les mouvements de la parution. Aussi, c'est tout aussi bien en s'adonnant au monde sensible, mais aussi au rêve et à l'imaginaire, tout comme à la pensée ou au langage que peuvent se rencontrer les phénomènes. Ils sontce qui paraît de l'expérience – de toute expérience– à l'état naissant.
Quoi qu'il en soit, on comprend que le phénomène estce qui paraît – ce qui se phénoménalise, ce qui se donne à voir – dans la phénoménalisation, de même que la phénoménalisation est ce par quoi il y a phénomène. Par contre la pensée de la phénoménalisation, qui est en fait une pensée du phénomène en sa phénoménalisation, est la pensée qui reconduit ce qui paraît – le phénomène, l'étant – à son mouvement d'apparaître, à son double mouvement de phénoménalisation. Il n'est cependant pas possible de penser ce (double) mouvement directement, puisque celui-ci n'apparaît jamais directement pour la pensée. C'est seulement en se mesurant au phénomène et à sa phénoménalisation qu'une pensée de la phénoménalisation devient possible ; par là, la pensée est prise elle-même dans un double mouvement, qui estle mouvement même de la phénoménalisation,que la pensée ne peut donc montrer qu'en l'effectuant : « le fait pour la pensée de se mesurer à la phénoménalisation est la pensée de la phénoménalisation elle-même »[48]. Il y a donc une pensée de la phénoménalisation chez Heidegger uniquement dans la mesure où sa pensée est prise dans une double torsion qui impose du même coup une double torsion au langage[49]. A n'en pas douter, comme je l'ai déjà dit, en commentant le rythme propre du langage de Heidegger où cherche à se dire – au creux du dit, c'est-à-dire de l'exprimé – le pur mouvement du phénomène, c'est sans doute avant tout son propre langage que Richir est en train de chercher, sa propre pensée de la phénoménalisation – le mouvement phénoménalisant singulier de sa propre pensée aux prises avec la phénoménalisation. Cela, il le cherche donc avec Heidegger ; mais il va bientôt le chercher aussi avec Merleau-Ponty, qu'il entreprend de lire juste après avoir commenté Heidegger dans ce premier texte qui marque l'acte de naissance de la phénoménologie richirienne.
[à suivre]
[1] Dans un article de 1972, Richir cite Le rien enroulé(1970), et précise : « Il va sans dire que tout ceci modifie la perspective de ce texte [scil. Le rien enroulé], encore écrit dans le “sillage heideggerien” » (Marc Richir, « Phénoménalisation, distorsion, logologie. Essai sur la dernière pensée de Merleau-Ponty », Textures 72/4.5, Bruxelles Paris, 1972, p. 89, note 47 : je souligne).
[2] Marc Richir, « Le Rien enroulé - Esquisse d'une pensée de la phénoménalisation », in Textures 70/7.8: Distorsions, Bruxelles, 1970, pp. 3-24.
[3] ... et écrit entre avril 1969 et février 1970 : cf. « Le rien enroulé »,art. cit., p. 24.
[4] Je rappelle que je distingue deux « actes de naissance » pour la pensée richirienne, « Le rien enroulé » tout d'abord, et puis les Recherches phénoménologiques(1981-83).
[5] Marc Richir, «Autant de chantiers ouverts à l'analyse que de questions pour la condition humaine», Le Magazine Littéraire n° 403- La Phénoménologie, une Philosophie pour notre temps, Paris, Nov. 2001, p. 61 : Mes italiques.
[6] « Le rien enroulé », art. cit., p. 5.
[7] Ibid., p.6
[8] Ibid., p. 6.
[9] Cf. Ibid., pp. 6-7.
[10]Ibid., p. 7.
[11]J'utilise ici la notion d'entre-aperception qui n'apparaîtra chez Richir que dans les Méditations phénoménologiques(1992).
[12]Cf. « Le rien enroulé », art. cit.,p. 3 note 1 : je souligne « les » et Richir souligne « devient ».
[13]Signalons d'ores et déjà que l'articulation entre le phénomène, la phénoménalisation et la pensée de la phénoménalisation est au cœur de la lecture critique que Richir propose de Fichte dans sa thèse de 1973 : je m'y arrêterai longuement dans le prochain chapitre.
[14]Ibid.
[15]Ibid., p. 5.
[16]Comme le remarquera Richir bien plus tard, et suite à une remarque de J.-T. Desanti, ce caractère de non traçabilité de l'espace phénoménologique tient en ce qu'il n'y a pas dans cet espace de rapport de voisinage. C'est donc cela qui différencie la topologie mathématique de la topologie phénoménologique. On se demandera alors ce qui justifie l'utilisation de termes spatiaux. Il me semble qu'il y a là un réel problème. Il y aurait tout un travail à faire pour examiner la pensée de l'espace et de la spatialité en jeu dans l'œuvre de Richir. On pourrait peut-être y déceler une indétermination des différents sens de la notion d'espace – en tout cas avant la mise au point dans les récents Fragments phénoménologiques sur l'espace et le temps.
[17]« Double mouvement » ou « double-mouvement » ? Sur ce point, l'orthographe de Richir varie au cours des ans !
[18]Ibid., p. 7.
[19]Ibid., p.8.
[20]Ibid.
[21]Ibid.
[22]Ibid., p. 9.
[23]Ibid., p. 9.
[24]Ibid.
[25]Ibid., pp. 10-11.
[26]« La dif-férance, c'est le grincement d'un enroulement dans un déroulement. Et le grincement est l'espace de jeu où viennent à paraître des objets (des copeaux) présents. Tel est le dernier pas de la métaphysique qu'il faut repenser sans cesse » (ibid., p. 11 : je souligne).
[27]« Il faut repenser sans cesse ce dernier pas de la métaphysique. C'est-à-dire qu'il faut le faire sien,faire que ce pas de la métaphysique devienne un pas – un pas hors de la métaphysique. Le mouvement de pensée que nous avons accompli est le dernier pasde la métaphysique. Nous avons en effet construit une théoriede la phénoménalisation – dans un langage qui parle (au sujet)de la phénoménalisation. Dès lors chacun sera libre de réfuter cette théorie, ou de la prendre en charge et de l'appliquer, soit pour voirsi elle convient à l'universalité qu'elle revendique, soit pour s'escrimer soi-même à phénoménaliser (quelque chose). Faire sienne cette pensée, c'est faire qu'elle soit aussi autre chose qu'une théorie. C'est donc renverserle langage, faire en sorte qu'en plus de l'exprimé passe quelque chose qui n'est repérable nulle part comme terme signifié. Penser cette pensée c'est doubler le langage simplement expressif d'un mouvementqui ne se laisse pas substantifier, d'un mouvement de déroulement dans lequel s'inscrit un contre-mouvement d'enroulement » (Ibid., p. 12).
[28]Ibid.
[29]Cf. ibid.
[30]Ibid., pp. 12-13. Il ne faut pas prendre le langage de Heidegger « à la lettre », écrit ici Richir. Il écrit deux ans plus tard que la difficulté de la pensée de Heidegger « vient sans doute de ce qu'on ne la lit jamais assez littéralement » (« Phénoménalisation, distorsion, logologie »,art. cit., p. 72 : italiques de Richir).
[31]« Le rien enroulé », art. cit., p. 12, note 6.
[32]Et celui qui cherche à écouter ce qui s'ourdit dans le langage, ne peut que pratiquer une « écoute librement flottante ». Cf. à ce sujet : Marc Richir, « Prolégomènes à une théorie de la lecture », Texturesn°5 : Fictions, Bruxelles, printemps 1969, pp. 35-53, où Richir se réapproprie phénoménologiquement cette idée freudienne.
[33]Cf. « Le rien enroulé », art. cit., p. 14, note 9.
[34]Heideger, Identität und Differenz, Neske, Pfullingen, 1957, tr. fr. par A. Préau dans Questions I et II, Gallimard, Paris, 1968, pp. 255-308.
[35]Cf. « Le rien enroulé », art. cit., p. 14.
[36]Heidegger,Questions I et II, op. cit., p. 284.
[37]Cf. ibid., p. 285.
[38]« [...] nous ne pensons l'être tel qu'il est que si nous le pensons dans la différence qui le distingue de l'étant et si nous pensons l'étant dans la différence qui le distingue de l'être. C'est ainsi que la différence nous devient proprement visible » (ibid., p. 296). « Que penser de la différence, s'il est vrai que l'être aussi bien que l'étant apparaissent, chacun à sa façon, à partir de la différence ? » (ibid., 298).
[39]Ibid., p. 298.
[40]Cf. ibid., pp. 286 sqq.
[41]Ibid., p. 298, cité et traduit par Richir dans « Le rien enroulé », art. cit., p. 17. Je reprends le texte tel qu'il est retranscrit par Richir, avec l'allemand entre parenthèses. C'est Richir qui souligne.
[42]Questions I et II, op. cit., pp. 298-299, cité et traduit par Richir dans « Le rien enroulé », art. cit., p. 18.
[43]« Le rien enroulé », art. cit., p. 18.
[44]Ibid., p. 19.
[45]Cf. ibid., pp. 19-20.
[46]Ibid., p. 20.
[47]Cf. les explications à ce sujet de J. Taminiaux : « La thèse de Kant sur l'être et la phénoménologie de la perception » in Lectures de l'ontologie fondamentale, coll. « Krisis », Éditions Jérôme Millon, Grenoble, 1989, pp. 91-145.
[48]« Le rien enroulé », art. cit., p. 24.
[49]Quelques années plus tard, Richir retournera cependant sa veste. En évoquant Le rien enroulé, il écrit en effet : « Ce commentaire est toujours pertinent à nos yeux à condition de le situer dans la ligne que nous esquissons ici, du passage du renversement copernicien à son au-delà, c'est-à-dire à condition de préciser qu'il n'y a pas, à proprement parler, de pensée de la phénoménalisation chez Heidegger » (M. Richir, Au-delà du renversement copernicien,Martinus Nijhoff, La Haye - 1976, p. 48 note 36 : mes italiques).